C'est Dimanche, jour du Seigneur.
Il est là, recroquevillé sur lui-même, à la porte de la petite église du quartier, assis sur ce qui pourrait être un sac, les jambes repliées sous lui pour ne pas gêner les fidèles venus assister à l'office.
Peu de regards se tournent vers lui. Les messieurs et les dames, en tenue d'apparat, simulent maladroitement une conversation imaginaire pour ne pas regarder la misère qui se lit pourtant dans les yeux de ce pauvre homme, propre, mais mal vêtu. Devant lui, une petite boite de fer blanc, emballage d’un maigre repas. Il n'ose regarder ceux qui défilent devant lui et son regard est perdu au fond de sa sébile improvisée, comme pour en surveiller le maigre contenu. Non, s'il ne regarde pas les autres, c'est tout simplement parce qu'il craint leurs regards dans lesquels il sait ne trouver que de l'indifférence et peu de compassion, et très souvent, du mépris.
Parfois, une bonne âme se penche doucement et pose délicatement une petite obole dans le petit récipient avec un "tenez mon brave" ou "tenez mon pauvre ami". Il s'agit le plus souvent de modestes petits vieux ou petites vieilles, ou encore un enfant, réellement touchés par cette misère. Certains autres, pour se donner bonne conscience, avant d'aller suivre l'office et écouter la bonne parole, jettent négligemment un maigre sou au pied du malheureux au risque de rater la boite. Il ne demande pourtant que quelques pièces qui, mises bout à bout, lui permettront d'acheter un bout de pain et d'apaiser la faim qui le tenaille au ventre.
Toutes ces personnes s'indignent pourtant de la misère dans le monde, mais s'abstiennent de s'y associer par une main tendue, un regard, un sourire, une bonne parole. Ont-ils songé un instant que demain, ils pourraient être celui qu'ils ignorent aujourd'hui ?
Ce pauvre mendiant devant l'église était des leurs hier. Il avait une famille, un travail, des amis. Un jour, le malheur s'est abattu sur lui, engendrant le désespoir, puis la misère. Demain, dans le froid, peut-être préfèrera-t-il mourir que de subir toujours et encore le dédain et le mépris des autres, ces regards qui font mal, ces silences qui tuent. Il est d'autres misères que les regards évitent. Il est d'autres êtres qui ne peuvent être là à mendier aux portes des églises. Il est des hommes pour qui la Société n'est plus qu'un rêve, une illusion, l'utopie de lendemains incertains. Leur misère est différente et ressemble au bien être, pour qui ne la vit pas.
Un jour, ils ont fauté, ils ont péché, ils ont tué, ils ont volé, par erreur, par vice ou par passion. La Justice des hommes les a écartés de la vie, les a privés de ce qui est le plus cher à chacun d’eux : la liberté, la famille. Aujourd'hui, ils doivent se résigner à n'avoir que le regard de ceux qui ont en charge de veiller sur eux. Leur misère n'est pas dans leur estomac, elle est dans leur tête. Un visage ami leur apporte plus qu'un bol de soupe. Une parole aimable leur redonne envie de croire en l'humanité. Combien de gens habillent leur mépris avec une fatalité coupable. Pourtant demain, qui peut prétendre ne pas subir cette solitude forcée.
Aussi bien que soit ressentie cette relégation, et quelles qu'en soient les raisons, la détresse se lit dans le regard de tous, même du plus fort. Ils se retrouvent ainsi condamnés par deux fois. Une fois par la vie et la loi, puis une autre fois par le regard des autres, le même regard que celui adressé au miséreux sur le parvis de l'église. Pour ce dernier, rien ne justifie le mépris, le dédain. Pour l'autre, la conscience est sauve et devient bonne conscience aux regards fuyants.
Demain, quand ils sortiront de leur prison, tous ces regards continueront à les fuir. Ils iront alors rejoindre ce pauvre clochard que tous ignorent, sans trop savoir pourquoi. Dans chaque homme circule la vie, et si cette vie un jour déraille, c'est en lui tendant la main qu'il retrouvera le chemin.
Qu'importent les raisons qui ont fait de certains êtres des Mendiants ou des Prisonniers, c'est d'écoute et d'attention qu'ils ont besoin. S'il devait exister une monnaie pour ceux qui souffrent, il faudrait l'appeler "Sourire". Si le regard de l'autre était une image, elle s'intitulerait "Amour".
Alors, sortez votre escarcelle, sortez-en quelques "Sourires", et enveloppez les dans l'immensité d'un "Amour" protégé par le regard. Récitez en vous-même cet hymne composé par l’un d’entre eux qui, comme vous, ne croyait pas qu’un jour cela pouvait lui arriver.
Paul Tisseau
Hymne à L'exclusion
En repoussant l'exclu,
Le fuyant du regard,
C'est un être qu'on tue
Et sans aucun égard.
Si aujourd'hui c'est lui
Qui recherche ta main,
Offres lui ton appui
Et apaises sa faim.
Qu'importent les raisons
Qui l'ont conduit ici,
Il faut que nous l'aidions
A fuir le mépris.
Rien ne peut être pire
Que de compter les jours.
Il veut vous voir Sourire,
Il a besoin d'Amour
Paul Le Gaëllic